Décryptage d’un arrêt récent du Conseil d’Etat qui revient sur la sanction disciplinaire susceptible d’être infligée pour la tenue de propos sexistes et racistes
Un salarié de la société Club Med tenait fréquemment des propos sexistes et racistes, à l’encontre de trois autres salariées.
L’auteur de ces propos étant titulaire de mandats représentatifs, son employeur, qui envisageait de lui infliger la sanction du licenciement, a dû saisir l’inspecteur du travail d’une demande d’autorisation de licenciement pour faute.
L’inspecteur du travail a fait droit à cette demande et a autorisé le licenciement du salarié.
I. – Le choix de la clémence, retenu par le tribunal administratif de Paris et la cour administrative d’appel de Paris
En matière disciplinaire, le juge administratif exerce un contrôle dit « normal ». Celui-ci le conduit à tenir compte de chaque facette du comportement du salarié protégé ou du fonctionnaire, au travail. Pour contrôler la légalité d’une sanction, il tient compte du passé disciplinaire de la personne sanctionnée, des évaluations ou encore de la qualité de son travail
Le tribunal administratif de Paris et la cour administrative d’appel ont tous deux considéré que l’autorisation de licenciement fondé sur ces faits était illégale.
Dans l’arrêt qu’elle avait rendu, tout en énumérant les faits en cause, la cour administrative d’appel de Paris avait retenu que les propos reflétaient « davantage la vulgarité de pensée et la trivialité d’expression de leur auteur qu’une misogynie ou un comportement effectivement discriminatoire » et se trouvaient du reste atténuée par la personnalité de l’intéressé, empreinte d’une certaine « spontanéité » et de « franc-parler », d’une « liberté de ton dans l’entreprise » et d’une réelle « jovialité ».
Là où l’inspecteur du travail avait identifié un comportement grave, les juges du fond identifiaient les traits de la personnalité un peu trop facétieuse d’un salarié.
Et, sur la base de ce raisonnement, la cour administrative d’appel avait retenu que la sanction du licenciement était disproportionnée.
II. – Une gravité suffisante pour justifier un licenciement, selon le Conseil d’Etat
Saisi d’un pourvoi en cassation, le Conseil d’Etat censure ce raisonnement.
Par une décision du 7 octobre 2022, le Conseil d’Etat retient, pour sa part, que, à lui seul, le fait de tenir des comportements « faisant explicitement référence, d’une part, au sexe de salariées et, d’autre part, à leur origine et à leur religion supposées » « brutaux », « déplacés et sexistes » et présentant un caractère blessant pour leurs destinataires était d’une gravité suffisante pour justifier un licenciement.
La tenue de propos racistes et sexistes constitue donc bien un comportement fautif d’une gravité suffisante pour justifier un licenciement.
Le Conseil d’Etat a dès lors annulé l’arrêt de la cour administrative d’appel et le jugement du tribunal et confirmé la légalité de l’autorisation de licenciement.
III. – Les comportements racistes et discriminatoires au travail existent-ils vraiment ?
On est désagréablement surpris par le faible nombre de précédents jurisprudentiels portant sur des sanctions infligées en répression de propos racistes (seulement 4 résultats sur base de données Ariane dont le premier date de 1993). On ne trouve, de la même manière, aucun exemple dans lequel une administration aurait été sommée d’accorder la protection fonctionnelle à des agents qui auraient indiqué avoir été victime de comportements racistes ou discriminatoire.
Faut-il y voir le signe (on peut ici faire mine de poser innocemment la question) que les comportements sexistes et racistes sont faiblement poursuivis et réprimés, par l’administration ?
Certains précédents jurisprudentiels font clairement apparaître l’indulgence dont font souvent preuve les administrations en la matière. Une décision récente l’illustre : dans celle-ci, un chef d’escadron d’escadron de gendarmerie contestait la sanction…de blâme (qui est l’une des sanctions les plus légères dans la fonction publique et qui a pour avantage de s’effacer automatiquement au bout de trois ans) qui lui avait été infligée après que 54 témoignages de collègues indiquaient qu’il tenait des « propos misogynes, sexistes, obscènes, racistes et discriminatoires à l’égard des autres gendarmes ».
Un blâme, sérieusement ?
Le racisme au travail figure parmi les grands dénis. Nous ne sommes, dans cette mesure, guère étonnés que le rapport Vigouroux-Roussel sur les discriminations dans la police soit longtemps demeuré confidentiel et n’ait été publiée que grâce au travail opiniâtre des journalistes de mediapart.
Pourtant, la décision du Conseil d’Etat analysée nous apprend qu’il ne faut pas désespérer.
LC