Sur la décision Conseil d’Etat, 10 octobre 2024, Société La Poste, n° 488095

 

« Ecoutons les soignants, qui nous disent : si vous voulez nous aider, il faut rester chez vous et limiter les contacts ».

C’est en ces termes dénués de toute équivoque que, le 16 mars 2020, le Président de la République Emmanuel Macron exhortait l’ensemble des Français à éviter de se rendre sur leur lieu de travail, pour endiguer la propagation, par voie d’aérosol et par transmission corporelle, de la pandémie de covid-19, qui devait provoquer le décès de 65.000 personnes en France sur la seule année 2020 et la contamination de 2,5 millions de personnes sur le territoire français.

 

Le droit de retrait, au temps du Covid-19

Dans ce contexte, de nombreux salariés et agents publics ont certes été contraints de continuer l’exercice de leurs fonctions indispensables à la vie du pays. D’autres n’ont eu d’autres choix que de suspendre leur activité ou d’exercer leur droit de retrait.

C’est le cas de certains agents de la Poste.

L’article 6 du décret n° 2011-619  du 31 mai 2011 relatif à la santé et à la sécurité au travail à la Poste dispose qu’ : « Aucune sanction ne peut être prise ni aucune retenue de salaire faite à l’encontre d’un agent ou d’un groupe d’agents qui se sont retirés d’une situation de travail dont ils avaient un motif raisonnable de penser qu’elle présentait un danger grave et imminent pour la vie ou la santé de chacun« . C’est peu ou prou la même garantie qui est posé pour les autres catégories d’agents de la fonction publique (article 6 du décret n° 82-453 du 28 mai 1982). En ce sens, le droit de retrait est une exception au devoir d’obéissance, rappelé à l’article L. 121-9 du code général de la fonction publique.

Confrontée à une situation dans laquelle ils n’avaient pas de masques, ni de gel hydroalcoolique en nombre suffisant, plusieurs agents employés par la société La Poste sur la plateforme industrielle du courrier  de Wissous ont fait valoir, en mars et avril 2020, d’exercer leur droit de retrait. Pour ne pas perdre le bénéfice de leur rémunération, ces agents se sont prévalus de la garantie prévue à l’article 6 du décret du 31 mai 2011.

La Poste a contesté le caractère justifié de ce droit de retrait et a décidé d’appliquer des retenues sur les traitements des agents ainsi considérés comme en situation d’absence injustifiée.

Comme l’avait fait avant lui le tribunal administratif de Versailles et la cour administrative d’appel de Versailles, le Conseil d’Etat vient de confirmer l’illégalité de ces mesures de retenue sur traitement et le bien-fondé de l’exercice du droit de retrait, dans le contexte très particulier de la pandémie (Conseil d’Etat, 10 octobre 2024, Société La Poste, n° 488095).

Contrôler la légitimité de l’exercice du droit de retrait : quelle méthode ? 

Dans sa décision qui sera mentionnée au Recueil Lebon, le Conseil d’Etat rappelle qu’il revient avant tout au juge d’examiner si le sentiment personnel qui a mû l’agent qui a exercé son droit de retrait reposait sur des motifs raisonnables de penser qu’il se trouvait dans une situation de travail présentant un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé.

Il retient que les moyens déployés par la société La Poste pour mettre en œuvre les mesures prophylactiques préconisées par le Gouvernement ne pouvait exclure l’exercice légitime du droit de retrait ; il relève que, au regard de la situation de la pandémie constatée à l’époque, le risque d’exposition au virus de la maladie demeurait important, en dépit des efforts faits pour protéger les travailleurs.

Pour considérer que l’exercice du droit de retrait avait été légitime, la haute juridiction administrative a en outre insisté :

 

  • d’une part, sur le fait que les informations relayées par la presse et le Gouvernement faisait alors état d’une maladie aux conséquences médicales potentiellement graves et de la nécessité, pour éviter les contaminations, de réduire les contacts entre les personnes

 

  • d’autre part, sur la circonstance que, au sein de la plateforme de Wissous, le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail avait engagé une procédure d’alerte pour danger grave et imminent en raison de l’exposition au virus de la covid 19.

 

De nombreux fonctionnaires doivent, comme on le sait, fréquemment exercer leurs missions dans des conditions difficiles.

 

L’insuffisante reconnaissance, en jurisprudence, de la légitimité des usages du droit de retrait 

Pourtant, il demeure assez rare que le juge administratif considère que le droit de retrait exercé par un agent était justifié (Conseil d’Etat, 18 juin 2014, Ministre de l’éducation nationale, n° 369531, pour le refus de reconnaître la légitimité de l’exercice du droit de retrait d’un professeur affecté dans une classe souillée de déjections de chauve-souris et pourvue d’une toiture défectueuse ;  Cour administrative d’appel de Toulouse, 7 mai 2024, n° 22TL20837, pour un refus de reconnaître le caractère justifié de l’exercice du droit de retrait dans un cas de surcharge de travail et de tensions au sein du service).

Et en dehors de quelques précédents jurisprudentiels rappelant la forme que doit revêtir une décision refusant de reconnaître la légitimité de l’exercice du droit de retrait (Conseil d’Etat, 18 juin 2014, Ministre de l’éducation nationale, n° 369531, s’agissant de l’obligation de motiver une décision refusant de reconnaître le bien-fondé de l’exercice du droit de retrait), les décisions sont souvent défavorables.

La décision ainsi rendue par le Conseil d’Etat fournit une illustration permettant d’éclairer sur les conditions de mise en œuvre du droit de retrait.

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