CAA de TOULOUSE, 3ème chambre, 15/10/2024, 22TL21484, Inédit au recueil Lebon – Légifrance

La responsabilité sans faute de l’Etat du fait d’attroupements

On considère que le régime de responsabilité de l’Etat du fait d’attroupements compte parmi les plus anciens de notre droit. Certains commentateurs en trouvent des traces sous le règne de la dynastie mérovingienne (conclusions de M. Nicolas Polge sur Conseil d’Etat 30 décembre 2016, n° 389835).

Plus récemment, on se souvient que le mouvement des « gilets jaunes » a donné lieu à des mobilisations, chaque samedi, à compter du mois de novembre 2018. Cette mobilisation pour le pouvoir d’achat et pour davantage de démocratie fut marquée par de nombreux affrontements avec les forces de l’ordre. Ces manifestations ont été le théâtre d’importantes dégradations du mobilier urbain imposant, pour les collectivités, de lourds coûts de remise en état des équipements, des chaussées ou encore des trottoirs ou la collecte de dépôts sauvages sur la voie publique.

L’article L. 211-10 du code de la sécurité intérieure dispose que : « L’Etat est civilement responsable des dégâts et dommages résultant des crimes et délits commis à force ouverte ou par violence, par des attroupements ou rassemblements armés ou non armés, soit contre les personnes, soit contre les biens. »

Le Conseil d’Etat juge que « l’application de ces dispositions est subordonnée à la condition que les dommages dont l’indemnisation est demandée résultent de manière directe et certaines de crimes ou de délits déterminés, commis par des rassemblements ou attroupements précisément identifiés » (Avis, Conseil d’Etat, Assemblée, 20 février 1998, Sté d’études et constructions de sièges pour l’automobile, n° 189185, au Recueil).

Il s’agit d’un régime de responsabilité sans faute de l’Etat. Autrement dit, pour que le juge administratif entre en voie de condamnation, il n’est pas nécessaire que le demandeur prouve que la puissance publique a manqué à ses obligations.

Sur le fondement de ce régime, les collectivités territoriales (administrations publiques), les entreprises (Conseil d’Etat, 11 octobre 2023, n° 465591, au Recueil) ou encore les particuliers peuvent obtenir une indemnisation (Conseil d’Etat, 31 mai 2024, n° 468316, au Recueil)

Dans cette affaire, pour exclure l’applicabilité de ce régime, le préfet expliquait que les dégradations déplorées par Toulouse Métropole n’était pas en lien avec les manifestations.

Pour l’autorité préfectorale, les destructions étaient le résultat d’opérations menées par des « groupes d’individus ultra-violents » ayant infiltré les manifestations suivant un « mode opératoire précis et répété ».   

En droit, cette argumentation n’était pas sans appui.

Pour le Conseil d’Etat, des actions « délictuelles, concernées et préméditées » menées par « un groupe structuré » en vue de commettre des dégradations échappent au régime de responsabilité posé par l’article L. 211-10 du code de la sécurité intérieure. La haute juridiction administrative considère en effet que ces actions ne procèdent pas d’une « action spontanée dans le cadre ou le prolongement d’un attroupement ou rassemblement » (Conseil d’Etat, 28 octobre 2022, Ministre de l’intérieur, n° 451659, aux Tables du Recueil Lebon ; v. également Conseil d’Etat 12 novembre 1997, Compagnie Assurances générales de France, n° 150224, pour l’exclusion de dégradations commises par un groupe organisé en commando pour « endommager le siège de RFO à Fort-de-France »).

Cependant, la Cour écarte le raisonnement du préfet. Elle considère que les éléments versés aux débats par l’administration sont insuffisants pour exclure le constat « de délits commis à force ouverte ou par violence dans le prolongement d’une manifestation ».

La Cour administrative d’appel de Toulouse note que les destructions constatées ne sont pas le fait de groupes isolés spécifiquement constitués et organisés dans l’unique objectif de commettre une action délictuelle.

La réparation intégrale du préjudice

La cour administrative d’appel de Toulouse accepte donc d’ordonner la réparation des préjudices subis par la collectivité.

Elle met à la charge de l’Etat une somme compensant les frais de remise en état du mobilier urbain, des chaussées, des trottoirs et des matériaux naturels, mais aussi les coûts d’enlèvement des tags, graffitis et affiches sauvages. La cour accepte en outre la réparation des préjudices liés à la mobilisation accrue d’agents métropolitains chargés du nettoiement de la voirie.

Des pertes d’exploitation sont aussi indemnisées : le préjudice lié à la baisse de fréquentation des parkings gérée par Toulouse Métropole.  

En revanche, la Cour écarte l’indemnisation de certains préjudices qui, selon elle, échappent au régime de responsabilité de l’Etat du fait d’attroupements.

C’est notamment le cas des conséquences dommageables des opérations de blocages des voies de circulation (dites « opérations escargots »).

Pour le juge, ces opérations ne sont pas en rapport avec des attroupements et sont le résultat d’actions « préméditées et concertées » non prises en charge par le régime de l’article L. 211-10 du code de la sécurité intérieure.

 

Suivez-nous