Maladies respiratoires d’un enfant : le juge administratif engage la responsabilité de l’État

 

Sur l’arrêt n° 23PA03743 rendu par la cour administrative d’appel de Paris le 9 octobre 2024 : « Il faut que tu respires, et ça c’est rien de le dire »

« Tout se passe comme si les activités de pollution et la volonté de défense de l’environnement suivaient des voies parallèles, se développaient concurremment sans se rejoindre le moins du monde ». Tels sont les mots du philosophe Jacques Ellul en 1972 qui, dans son énergique et paradoxal « plaidoyer contre ladéfense de l’environnement’ », dénonçait un « énorme effort de palabre » autour de la défense de l’environnement ne s’accompagnant ni de moyen ni d’argent.

Plus de cinquante ans plus tard, ce discours n’a pas pris beaucoup de rides. On doit cependant avouer que le regard sur la question commence – par des choses – à évoluer, à la faveur (si l’on peut dire) d’une dégradation très nette de la situation.

Une très nette dégradation du cadre de vie est passée par là. Selon les estimations (dont il faut noter qu’elles sont incomplètes), chaque année, ce sont 40.000 décès qui sont attribuables à l’exposition aux particules fines et environ 7000 au dioxyde d’azote, tandis que l’exposition à la pollution de l’air ambiant représente en moyenne pour les personnes âgées de 30 ans et plus une perte d’espérance de vie de près de 8 mois du fait des particules fines.

La pollution de l’air est aussi associée de phénomènes de dégradations respiratoires chez les enfants en bas âge ; un récent rapport de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees) relève que, du fait de la pollution de l’air, « sur la période 2008-2017, environ 28 000 enfants de chaque génération (ont été) hospitalisés en urgence pour bronchiolite avant leurs 2 ans et 11 000 pour asthme avant leurs 3 ans ».

Dans ce contexte dégradé, il n’est pas étonnant que le juge administratif soit de plus en plus saisi de requêtes tendant à obtenir que l’Etat soit condamné à réparer les dommages provoqués par la pollution de l’air.

 

Pollution de l’air : une jurisprudence florissante sur la responsabilité de l’État

Une des décisions notables sur ce point est celle par laquelle le Conseil d’État, saisi par plusieurs associations de protection de la nature et de l’environnement, a infligé une astreinte exceptionnelle de 10 millions d’euros par semestre de retard au gouvernement, afin de le contraindre à prendre des mesures contre la pollution de l’air, conformément à ses engagements européens (CE, Ass., 10 juillet 2020, Association les amis de la terre et autres, n° 428409).

Dans le sillage de cette précédente jurisprudence, plusieurs décisions importantes ont été rendues, telles que  la décision du 4 août 2021 (n° 428409) par laquelle le Conseil d’État a procédé à la liquidation de cette astreinte ou encore celle du 17 octobre 2022 (n° 428409) par laquelle il a liquidé deux nouvelles astreintes pour le second semestre 2021 et le premier semestre 2022, totalisant 20 millions d’euros.

Enfin, dans une décision ultérieure du 24 novembre 2023 (n° 428409), le Conseil d’État a constaté des changements positifs – il n’y a plus de dépassement du seuil de pollution pour les particules fines dans aucune zone urbaine – mais a condamné l’État au paiement de deux nouvelles astreintes (plus faibles) en raison de dépassement persistant des seuils de dioxyde d’azote dans certaines zones urbaines.

 

L’arrêt du 9 octobre 2024 s’inscrit dans cette dynamique jurisprudentielle

L’arrêt rendu par la cour administrative d’appel (CAA) de Paris aborde ces questions cruciales relatives à la responsabilité de l’État en matière de lutte contre la pollution atmosphérique.

En première instance, les requérants, parents d’une fille souffrant de pathologies respiratoires, ont sollicité devant le tribunal administratif (TA) de Paris l’indemnisation de divers préjudices qu’ils estiment être causés par la pollution de l’air en Île-de-France.

Par un jugement n° 2019925 du 16 juin 2023, le TA de Paris a jugé qu’une partie des symptômes dont a souffert l’enfant des requérants résulte du dépassement des seuils de pollution, lequel est imputable à l’Etat.

Sans surprise, la CAA de Paris confirme dans un premier temps l’analyse du TA quant à l’existence d’une faute de l’État pour avoir manqué à ses obligations en matière de surveillance et d’amélioration de la qualité de l’air, conformément notamment aux dispositions des articles L. 221-1 et L. 222-4 du Code de l’environnement.

 

L’établissement d’un lien de causalité entre les pathologies de l’enfant et la pollution atmosphérique

 

L’aspect essentiel de cette affaire réside dans la reconnaissance du lien de causalité entre les problèmes de santé de l’enfant et la pollution.

La CAA relève ainsi que bien que « les bronchiolites ont une origine généralement virale et si la vie en collectivité favorise la transmission virale, les pics de pollution et la pollution chronique favorisent la survenue de ces infections et y ajoutent une agression inflammatoire pouvant déclencher des manifestations sifflantes à chaque pic de pollution ».

L’établissement de ce lien de causalité et la méthode utilisée par la cour est, sans le moindre doute, une avancée pour les familles – le plus souvent modestes comme le montre la Drees – des jeunes enfants atteints de pathologies respiratoires liées à la pollution atmosphérique.

D’autant que d’autres précédents jurisprudentiels portant sur la même question avaient retenu une approche qui semblait plus stricte et sévère.

On ne peut en revanche qu’être frappé par l’indemnisation a minima à laquelle procède la cour.

 

Une décevante évaluation des préjudices

 

À notre sens (et même si l’auteur de ces lignes qui n’a pas eu le dossier en main tient à conserver une certaine prudence), il paraît difficile de retenir que cet arrêt refléterait pleinement la gravité de la situation vécue par cette fille mineure et sa famille.

Au stade de l’identification des préjudices réparables, la CAA rejette – ce qui est déjà un aspect marquant – les demandes relatives aux préjudices, d’anxiété, d’agrément et d’incidence professionnelle des parents.

S’agissant de ce dernier préjudice, la juridiction estime que « ni la baisse du montant de leur indemnité de résidence, qui reflète une différence de coût de la vie entre la région parisienne et leur nouveau lieu de résidence à Agde, ni la perte de l’indemnité de fidélisation en secteur difficile, liée au lieu d’exercice de leur activité professionnelle et aux contraintes qui en résultent, ne sont en lien direct avec la faute de l’Etat. Enfin, ils n’établissent pas que leur mutation aurait entraîné pour eux une perte de chance de progression professionnelle ».

Pourtant, en changeant de région pour améliorer l’état de santé de leur fille, ce couple a été contraint de changer d’environnement professionnel et de diminuer ses ressources, ce qui aurait légitimement pu caractériser un préjudice réparable.

La CAA a visiblement estimé qu’étaient insuffisantes les indications présentées portant sur la souffrance psychologique des parents, et ce, alors qu’il semble que les parents aient prouvé les hospitalisations répétées de leur enfant. La mère de famille fait notamment valoir qu’elle a souffert d’un « trouble anxiodépressif développé en raison des problèmes de santé de sa fille », ce qui a hélas du sens tant les difficultés liées à la santé d’un enfant ne se limitent pas aux simples souffrances physiques, mais incluent des conséquences durables et profondes sur la vie familiale et la stabilité émotionnelle et le quotidien des parents.

Pour la réparation de leur préjudice, les requérants demandaient l’allocation d’une somme de 219.000 €. En tout et pour tout, « la somme mise à la charge de l’État (…) est portée à 4 000 euros », une somme très faible eu égard aux préjudices tant patrimoniaux qu’extrapatrimoniaux subis par cette famille.

On dit souvent qu’il existe un écart important entre les conditions d’indemnisation devant le juge administratif et celles tendanciellement constatées devant le juge judiciaire : cette impression est loin d’être infondée, comme le démontre une étude récente.

Les démarches indemnitaires liées aux dommages subis du fait de la pollution de l’air sont hélas appelées à devenir de plus en plus fréquentes. Le rôle des avocats sera très certainement de conduire le juge à retenir des taux d’indemnisation plus proches des graves troubles subis par les victimes.

Plus de cinquante ans après les propos acerbes de Jacques Ellul dénonçant une défense de l’environnement principalement faite de palabres, sans moyen, ni argent, où en sommes-nous ?