Sur la décision n° 494941 rendue par le Conseil d’État le 3 octobre 2024
La loi n° 2023-175 du 10 mars 2023 relative à l’accélération de la production d’énergies renouvelables définit l’agrivoltaïsme à son article 54 : une installation agrivoltaïque est une « installation de production d’électricité utilisant l’énergie radiative du soleil et dont les modules sont situés sur une parcelle agricole où ils contribuent durablement à l’installation, au maintien ou au développement d’une production agricole ».
L’agrivoltaïsme est donc une pratique combinant la production agricole et la production d’électricité solaire à partir de la même parcelle.
Pour la Confédération paysanne, cette combinaison entre l’agriculture et la production d’électricité « relève du marketing et vise à légitimer un opportunisme foncier et financier dans un contexte difficile pour le monde paysan ».
Le syndicat agricole a traduit ces critiques sur le terrain juridique en saisissant le Conseil d’État d’un recours en annulation des articles 1er, 2 et 4 du décret n° 2024-318 du 8 avril 2024 relatif au développement de l’agrivoltaïsme et aux conditions d’implantation des installations photovoltaïques sur des terrains agricoles, naturels ou forestiers – la juridiction administrative suprême étant compétente en premier et dernier ressort pour connaître des recours dirigés contre les décrets en vertu de l’article R. 311-1 du Code de justice administrative.
C’est à l’appui de cette requête que la Confédération paysanne a demandé au Conseil d’État de renvoyer au Conseil constitutionnel sa question prioritaire de constitutionnalité (QPC) portant sur l’article 54 précité.
Une illustration du rôle de filtre du Conseil d’État en matière de QPC
Si les juges ordinaires (judiciaires et administratifs) ne sont pas compétents pour contrôler la constitutionnalité des lois, ils jouent un rôle de filtre dans le cadre de la QPC. Comme le prévoit l’article 23-5 de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, le Conseil d’État et la Cour de cassation disposent d’un délai de trois mois pour transmettre ou non cette QPC au Conseil constitutionnel.
Cette transmission est subordonnée à trois conditions cumulatives :
– la disposition contestée s’applique au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites ;
- elle n’a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution ;
- la QPC doit présenter un caractère sérieux.
La pierre d’achoppement de cette QPC se trouve dans ce troisième et dernier critère, le Conseil d’État ayant refusé de transmettre la question considérant cette dernière comme dépourvue de caractère sérieux.
La Confédération paysanne soutenait que l’article 54 méconnaissait le droit de chacun de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé, inscrit à l’article 1er de la Charte de l’environnement. Elle soutenait également que ces dispositions législatives méconnaissaient les principes de prévention et de précaution inscrits, respectivement, aux articles 3 et 5 de la même Charte.
Une mise en lumière de la valeur normative de la Charte de l’environnement
La Charte de l’environnement a été adoptée en 2004 et intégrée à la Constitution suite à la révision constitutionnelle du 1er mars 2005. Il s’agit du premier texte constitutionnel français qui a reconnu des droits de « troisième génération », lesquels ont vocation à s’étendre à l’ensemble de la communauté internationale.
Au moment de son adoption, la Charte fut l’objet de nombreuses critiques, concernant notamment l’évocation de l’environnement comme une entité abstraite protégée indépendamment des droits et libertés des citoyens. Lors des débats parlementaires, Robert Badinter ira jusqu’à considérer que la Charte porte atteinte au principe de laïcité en ce que certaines phrases de la Charte viseraient une forme de foi en la Nature qui dépasserait l’humain.
En outre, comme le rappelait Michel Prieur, il n’était pas absolument certain que la Charte de l’environnement ait pleine valeur normative. Les incertitudes concernant le contenu, parfois flou, des termes utilisés posaient en particulier question.
Les juridictions ont finalement consacré la pleine valeur normative de la Charte. Le Conseil constitutionnel dans un premier temps (Décision n° 2008-564 DC du 19 juin 2008, Loi relative aux organismes génétiquement modifiés), puis le Conseil d’État (CE, 3 octobre 2008, n° 297931, Commune d’Annecy) ont ainsi reconnu la valeur constitutionnelle du texte.
Une surprenante utilisation de l’objectif à valeur constitutionnelle de protection de l’environnement
En prenant appui sur la Charte de l’environnement et sur son préambule, le Conseil constitutionnel a par la suite consacré la protection de l’environnement comme objectif de valeur constitutionnelle (OVC) (Décision n° 2019-823 QPC du 31 janvier 2020, Union des industries de la protection des plantes).
Or, dans sa décision du 3 octobre 2024, le Conseil d’État a justement considéré, que l’agrivoltaïsme participe à l’objectif à valeur constitutionnelle de protection de l’environnement. À rebours de l’analyse de la Confédération paysanne qui juge incompatible le couplage entre le solaire et l’agricole en raison de ses divers effets pervers – précarisation des baux ruraux, artificialisation des sols… –, la décision loue la synergie entre ces deux types de production.
Concernant les préoccupations sur les impacts environnementaux et sanitaires, le Conseil d’État estime que les dispositifs de contrôle existants assurent le respect des principes de prévention et de précaution.
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