Le Conseil d’Etat est saisi d’une question dont s’est emparé le débat public : celle du port de signes religieux par les participants aux compétitions sportives. Décryptage de la loi et de la question soumise au Conseil d’Etat.

Issu de la loi du 9 décembre 1905, le principe de laïcité a pour objet de régir la question du fait religieux dans la sphère publique.

De ce principe résulte trois règles fondamentales :

– la neutralité de l’Etat,

– la liberté de conscience et le libre exercice du culte des administrés,

– l’égalité de chacun indépendamment de sa religion et de son culte.

Il en résulte deux conséquences.

La première est que le service public et, plus généralement, les services et décisions qui émanent de la République doivent être neutres, et il en va ainsi en particulier des agents publics, ceux-ci incarnant la « vitrine » de l’Etat et du service public. La loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République a étendu le champ de l’obligation de neutralité aux personnes «sur lesquelles l’organisme chargé d’exécuter un service public exerce une autorité hiérarchique ou un pouvoir de direction».

La seconde est que les usagers du service public disposent de la liberté d’exercer leur culte, à l’exception des seuls élèves des écoles, collèges, lycées publics qui ont l’interdiction de porter un accessoire manifestant ostensiblement une appartenance religieuse conformément à la loi du 15 mars 2004.

Cette liberté d’exercice du culte suppose le droit de chacun d’accéder à un lieu de culte comme le droit de porter un accessoire par lequel les intéressés entendent exprimer leurs convictions religieuses, et le Conseil d’Etat juge à cet égard que le port du hijab constitue l’exercice de la liberté de manifestation des croyances religieuses (CE, 10 mars 1995, n° 159981, publié au Lebon).

Cette liberté d’exercice du culte n’est cependant pas absolue.

Elle peut être restreinte dans deux cas :

(i) lorsqu’elle génère un trouble dans le déroulement et le fonctionnement du service public. Tel est le cas, par exemple, pour le sport, lorsque le port d’une tenue ne présente pas les garanties nécessaires à l’hygiène, à la sécurité, ou n’est pas adaptée à la pratique d’un sport.

(ii) lorsque la mise en œuvre de cette liberté est assortie d’actes de pression, provocation, et plus généralement de prosélytisme, c’est-à-dire d’un comportement qui consiste à faire connaître sa pensée et ses convictions pour convaincre et obtenir d’autrui son adhésion au dogme ou à la cause. Et à cet égard, le Conseil d’Etat retient que le seul port du hijab ne saurait être regardé comme un signe dont le port constituerait un acte de pression ou de prosélytisme (CE, 20 mai 1996, n° 170343, publié au Lebon).

Le sport n’y déroge pas.

Il en résulte que les usagers des services publics sont libres de porter un hijab dans la sphère publique, mais que cette liberté peut être restreinte pour des paramètres propres au fonctionnement du service public, tels que par exemple l’hygiène ou à la sécurité, ou bien lorsque le port du foulard islamique s’accompagnerait en outre d’un comportement assimilable à du prosélytisme.

De quoi le Conseil d’Etat est-il actuellement saisi ?

Les statuts de la Fédération française de football interdisent, à l’occasion de compétitions ou de manifestations organisées sur le territoire de la Fédération ou en lien avec celles-ci, tout port de signe ou tenue manifestant ostensiblement une appartenance religieuse.

Cela ne poserait pas de difficulté si cette interdiction était justifiée par l’un des motifs permettant une restriction de la liberté d’exercice du culte.

Mais tel n’est pas le cas.

La Fédération française de football affirme, en effet, que cette interdiction n’est justifiée, ni par des considérations tenant à un trouble pour le bon fonctionnement des compétitions sportives, ni par une question de sécurité des sportifs.

Dans le dernier état de ses affirmations, cette fédération justifie cette interdiction par un principe de neutralité inhérent à l’ordre public sportif.

Mais la Fédération française de football peut-elle décréter de soumettre ses usagers à un principe général et absolu de neutralité ?

C’est là la difficulté.

Suivant l’article 34 de la Constitution, seule la loi fixe les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques. Il en résulte que le pouvoir réglementaire ne peut pas fixer dans le cadre de son pouvoir de réglementation d’un service public les règles concernant les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques. Il ne peut donc pas  décider de limiter de manière générale et absolue une liberté fondamentale.

Il faut ajouter à cela que les fédérations sportives sont délégataires d’un service public d’organisation des compétitions sportives qui leur a été délégué par la loi. Et, le Conseil d’Etat considère que les fédérations sportives doivent à ce titre exercer leurs mission dans le respect de la loi (CE, 19 janvier 2009, n° 314049, publié au Lebon).

Rien ne semble en conséquence permettre aux fédérations sportives de déroger à la loi et de soumettre les sportifs à un principe absolu de neutralité, sauf si elles justifient une telle restriction par le bon fonctionnement du service dont elle ont la charge. Encore, faut-il dans ce cas, qu’elles démontrent que cette restriction est effectivement nécessaire, adaptée et proportionnée.

Pour conclure, et sauf à ce que le Conseil d’Etat retienne une solution inverse, il apparaît que le pouvoir réglementaire des fédérations sportives ne les autorise pas à limiter, de manière absolue, l’étendue des libertés fondamentales dont bénéficient les participants aux compétitions sportives, ni à consacrer un tel principe de neutralité indépendamment de tout trouble ou de tout dysfonctionnement pour l’organisation des compétitions sportives.