Dans une ordonnance du 1er février 2024, le juge des référés du tribunal administratif de Cergy-Pontoise a suspendu une sanction qui avait été infligée à un chauffeur de taxi, en retenant que, lors de la procédure préalable, en méconnaissance des garanties disciplinaires, le professionnel poursuivi n’avait pas reçu l’information suivant laquelle il avait la possibilité de conserver le silence sur les reproches qui lui étaient faits

Dans sa fable L’Ours et l’Amateur des jardins (1678), Jean de La Fontaine écrit qu’« il est bon de parler, et meilleur de se taire ».

Le conseil est sans doute encore plus valable en matière répressive. Encore faut-il que le droit de garder le silence soit reconnu, et que la personne visée par une procédure disciplinaire en soit informée.

Or, le champ d’application du droit de se taire, garanti en droit interne par l’article 9 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, a fait l’objet d’interprétations divergentes.

Dans une décision de non-renvoi QPC du 23 juin 2023, le Conseil d’Etat a estimé que « ce principe a seulement vocation à s’appliquer dans le cadre d’une procédure pénale » (point 5), excluant donc les procédures disciplinaires.

Néanmoins, le Conseil constitutionnel a quelques mois plus tard jugé qu’au contraire, « le principe selon lequel nul n’est tenu de s’accuser, dont découle le droit de se taire […] s’appliqu[e] non seulement aux peines prononcées par les juridictions répressives mais aussi à toute sanction ayant le caractère d’une punition (Cons. Const., Décision n° 2023-1074 QPC du 8 décembre 2023, M. Renaud N., point 9).

En d’autres termes, le droit de se taire s’applique bien dans le cadre des procédures disciplinaire, visant les professionnels.

Or, selon le Conseil constitutionnel, le droit de se taire implique que le professionnel faisant l’objet de poursuites disciplinaires soit « informé du droit qu’il a de se taire », et ce préalablement à toute audition sur les manquements qui lui se reprochés.

Se posait la question de l’application par les juridictions administratives des principes dégagés par cette décision.

Une ordonnance du 1er février 2024, rendue par le juge des référés du tribunal administratif de Cergy-Pontoise, a apporté des premiers éléments de réponse.

Un chauffeur de taxi avait fait l’objet d’une sanction disciplinaire, infligée par le préfet de police.

Or, le droit de se taire ne lui avait été notifié à aucun moment de la procédure.

Saisi par le cabinet, le juge des référés du tribunal administratif de Cergy-Pontoise a d’abord rappelé la solution dégagée par la décision Renaud N. du Conseil constitutionnel.

Il a ensuite jugé que « la procédure disciplinaire applicable aux conducteurs de taxi est soumise aux exigences de l’article 9 de la déclaration du 26 août 1789 parmi lesquelles figure le droit de se taire ».

Constatant que le chauffeur de taxi n’avait pas été informé de son droit de garder le silence préalablement à son audition par la commission de discipline des conducteurs de taxi parisiens, le juge des référés en a conclu que la décision de sanction « est entachée d’un vice dans la procédure administrative préalable » (point 13).

Il lui restait alors à faire application de la célèbre jurisprudence Danthony (CE Ass., 23 décembre 2011) : un vice affectant le déroulement d’une procédure administrative préalable n’est de nature à entacher d’illégalité la décision prise que s’il a été susceptible d’exercer une influence sur le sens de la décision prise ou s’il a privé l’intéressé d’une garantie.

Selon le juge des référés, « l’information préalable du droit à garder le silence devant cette commission de discipline constitue une garantie » au regard de l’obligation pour le conducteur de taxi de se présenter personnellement devant la commission et des « pouvoirs très étendus des membres de la commission qui peuvent poser des questions aux conducteurs, convoquer des experts, des témoins et des plaignants et procéder à une confrontation des témoins ou des plaignants » (point 13).

Le chauffeur de taxi ayant été privé d’une garantie, le vice affectant la procédure administrative préalable entache bien d’illégalité la décision prise.

Par conséquent, le juge des référés a suspendu l’exécution de la sanction et enjoint au préfet de police de restituer provisoirement la carte professionnelle de taxi de l’intéressé.

Cette décision étant provisoire et susceptible de recours, la prudence reste de mise. Mais il s’agit d’une première confirmation de ce que le droit de se taire doit être notifié à tout professionnel faisant l’objet de poursuites disciplinaires, sans quoi la sanction prise à l’issue de la procédure disciplinaire serait entachée d’illégalité.

Pour consulter l’ordonnance (TA Cergy-Pontoise, 1er février 2024, n° 2400163), cliquez ici.