Issu de la loi du 24 août 2021, ce contrat est désormais signé par les associations et fondations subventionnées ou titulaires d’un agrément. Il impose le respect d’engagements dont la méconnaissance est susceptible d’entraîner le retrait des subventions accordées.

Nouveau signe de défiance à l’égard du monde associatif, il appartient aux associations de s’armer contre une mise en oeuvre à l’aveugle de ce contrat, et aux collectivités de s’informer de l’usage qu’il convient d’en faire.

Le contrat d’engagement républicain comprend sept engagements :

– l’obligation de ne pas entreprendre ni inciter à aucune action manifestement contraire à la loi, violente ou susceptible d’entraîner des troubles graves à l’ordre public et à ne pas remettre en cause le caractère laïque de la République ;

–  l’obligation de respecter et de protéger la liberté de conscience des membres et des tiers et de s’abstenir de tout acte de prosélytisme abusif exercé notamment sous la contrainte, la menace ou la pression ;

– l’obligation de respecter la liberté de ses membres de s’en retirer et leur droit de ne pas en être arbitrairement exclu ;

– l’obligation de ne pas opérer de différences de traitement fondées sur le sexe, l’orientation sexuelle, l’identité de genre, l’appartenance réelle ou supposée à une ethnie, une Nation, une prétendue race ou une religion déterminée qui ne reposeraient pas sur une différence de situation objective en rapport avec l’objet statutaire licite qu’elle poursuit, ni cautionner ou encourager de telles discriminations ;

– l’obligation d’agir dans un esprit de fraternité et de civisme ;

– l’obligation de n’entreprendre, ne soutenir, ni cautionner aucune action de nature à porter atteinte à la sauvegarde de la dignité de la personne humaine.

– l’obligation de respecter le drapeau tricolore, l’hymne national, et la devise de la République.

Le risque de défiance au sein même des associations

Le dispositif impose aux organes dirigeants des associations de prendre les mesures nécessaires pour faire cesser les agissements liés aux activités de l’association et commis, non seulement par les associations, mais également par leurs membres et bénévoles, y compris lorsqu’ils n’agissent pas en qualité de membres de l’association….

Le dispositif impose ainsi aux organes dirigeants de faire la police au sein de l’association, mais pas seulement. Il entraînera également la surveillance des membres et bénévoles (y compris de ceux ayant ponctuellement contribué à l’action de l’association ?) car si l’administration considère que l’association ne pouvait pas ignorer leurs actes, alors l’association pourra être sanctionnée.

Or, par précaution et par crainte de se voir reprocher par l’administration de ne pas avoir pris toutes les mesures nécessaires, les dirigeants des associations risquent de prendre à l’encontre des membres et bénévoles des mesures de surveillance et d’exclusion autoritaires, bien au delà de ce qui est nécessaire. Les dissolutions actuelles d’associations auront naturellement tendance à aggraver ce risque.

Il est donc absolument nécessaire que les associations identifient les limites et ne procèdent pas à une sur-censure attentatoire à la liberté d’expression et que les collectivités n’aillent pas au-delà de ce qu’elles peuvent exiger des associations en tenant des compte des moyens dont elles disposent conformément à leurs statut.

Des zones grises ouvrant la voie à l’arbitraire

Si la loi prévoit que le refus ou le retrait de la subvention ne peut intervenir que lorsque l’objet, l’ activité ou les modalités selon lesquelles l’association exerce sont activité sont illicites ou incompatibles avec le contrat d’engagement républicain, le décret d’application autorise pour sa part le retrait des subventions en présence d’un simple manquement aux engagements.

Ce décalage entre la loi et le décret n’est pas sans conséquence car il laisse croire aux collectivités qu’elles pourront sanctionner un simple manquement ponctuel, isolé, sans nécessairement être grave ou répété, là où la loi renvoie, au contraire, à une activité ou un comportement qui ne peut manifestement pas coexister avec le respect des engagements et qui suppose de ce fait une gravité certaine et une réitération dans le temps.

Mais tel n’est pas le cas. Le retrait ou le refus d’une subvention ne peut pas être justifié par un simple manquement à l’un des engagements énoncés par le contrat d’engagement républicain. Il faut que la collectivité établisse que l’objet, l’ activité ou les modalités selon lesquelles l’association exerce sont activité sont illicites ou incompatibles avec le contrat d’engagement républicain.

Des engagements aux contours incertains

Les engagements sont rédigés en des termes généraux dont les contours et les limites sont incertains. Cela génère un flou quant à ce qui sera toléré et quant à ce qui sera sanctionné.

Il en va ainsi des engagements qui renvoient à des notions dont la définition exacte est méconnue. Les notions de fraternité, civisme, de sauvegarde de la dignité humaine ne sont pas suffisamment précises pour que les membres des associations, comme les agents administratifs, identifient ce qui doit ici être sanctionné.

De même, l’obligation de ne pas remettre en cause le caractère laïque de la République crée inévitablement des interrogations quant à l’étendue et quant aux limites des obligations que fait naître cet engagement. Il faut pourtant rappeler que dès lors qu’elles ne sont pas en charge d’un service public les associations et leurs membres ne sont pas soumises à un quelconque principe de neutralité.

Certains engagements sont rédigés en des termes flous qui ne permettent pas, là encore, d’identifier précisément les attendus. L’usage du terme cautionner ne permet, par exemple, pas de déterminer s’il est fait référence à un acte positif par lequel l’association approuverait expressément de tels agissements, ou bien s’il désigne également le comportement tacite silencieux qui se limite pas à condamner l’action répréhensible. La notion de trouble grave à l’ordre public est également laissé à la libre appréciation de l’administration.

Il existe enfin, compte tenu de la rédaction retenue, un risque que les administrations sanctionnent toutes les actions manifestement contraires à la loi,  y compris celles non violentes ou qui ne généreraient aucun trouble à l’ordre public.

Il est par conséquent indispensable que les collectivités en amont s’assurent de la lecture qu’elles font de ces engagements avant l’édiction de toute décision de refus ou de retrait. Réciproquement, les associations qui ont fait l’objet d’une mesure de refus ou de retrait doivent évaluer les chances de succès d’une action qui consisterait à contester la lecture faite par l’administration.

Un risque d’auto-censure et de sur-censure

Le dispositif prévoit que le retrait d’une subvention par une collectivité doit conduire à la suppression de l’ensemble des financements publics accordés, de sorte que le retrait d’une subvention peut mener à brève échéance au retrait de toutes les subventions publiques. On imagine ici les conséquences pour les associations dont la survie dépend des aides publiques : licenciement des salariés, suppression des moyens matériels, fin de l’activité.

Ce risque fait désormais peser sur les associations une épée de Damoclès qui conduira certaines associations à s’aligner sur la conception adoptée par les pouvoirs publics et à limiter leurs activités, parfois plus qu’il ne le faut, en diminuant les actions les plus subversives ou le soutien à d’autres actions associatives par crainte de perdre des subventions ou d’être simplement mal vues par les pouvoirs publics.

Réciproquement, l’obligation de veiller au respect du contrat d’engagement républicain, sous le contrôle du préfet, risque de conduire les collectivités publiques à privilégier le financement des activités socio-culturelles inoffensives et à diminuer le financement des associations militantes qui ont recours à des modes de contestation virulentes ou polémiques.

Une défaite pour le pluralisme

Le contrat d’engagement républicain risque de décourager les associations d’exercer leur rôle de contre-pouvoir et de mener des actions subversives et revendicatives. Ce risque est d’autant plus réel qu’il s’inscrit dans le contexte que l’on connaît : la condamnation des associations qui installent des campements sur le domaine public pour la protection des personnes migrantes et/ou sans abri, la stigmatisation des associations qui militent pour le droit des membres de communautés religieuses minoritaires d’exercer sereinement leur culte, la verbalisation des associations d’aides aux migrants qui exercent ont continuer les activités de maraudes et de distribution alimentaires, de tentes et de duvets, pendant le confinement ou à Calais en dépit des interdictions.

Le choix de financer les « bons soldats » au détriment de ceux qui osent recourir à des actions de désobéissance civile pour la promotion du droit à la santé, de l’environnement, du droit au logement, ou du droit des immigrés, là où l’initiative citoyenne est plus que jamais nécessaire, a pour objet de réduire le pluralisme et d’affaiblir la démocratie.

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